Plastic Explosion

« Plastic explosion » fait référence à la période géologique appelé « Cambrian explosion », qui désigne l’émergence soudaine et spectaculaire des organismes pluricellulaires dans les océans, marquant un tournant majeur de la vie sur Terre il y a 514 millions d’années.


Ce projet artistique interroge notre surproduction de polymère et le devenir du vivant, au regard de la connaissance du passé. Il vient en réponse à une longue réflexion sur les objets plastiques en série, leurs accumulations et leurs interactions dans les océans. L’œuvre se présente comme un témoignage scientifique où chaque ustensile prend l’apparence du vivant. L’objet devient alors sujet d’étude pour lequel le regard du consommateur laisse place à celui de l’observateur, témoin de cette biocénose que l’on imagine post-anthropocène. C’est dans cet esprit que j’invite des paléontologues, des chercheurs et des océanographes à nommer les espèces et à en proposer une description ainsi qu’une classification afin d’expliquer leur apparition et leurs évolutions. Je suis curieuse de découvrir comment des hommes et des femmes de science et de terrain vont s’approprier ce bestiaire et le faire vivre. Qu’auront-ils à leur faire raconter sur leur biologie, leur évolution et leurs interactions ?


Ma démarche s’est construite sur l’accumulation quotidienne des objets en plastique : brosses à dent, flacons, couverts, colliers de serrage. Et l’envie de les utiliser comme matière constituante de l’œuvre. Utiliser leurs propriétés intrinsèques de transparence, d’opacité et de souplesse pour réinvestir le regard du consommateur qui devient observateur. Capter son attention, en jouant sur la capacité des formes à suggérer une fonction, un organe, pour en réécrire leur signification et mettre en lumière leurs interactions avec leur environnement. Inviter à analyser la forme, la matière et ses propriétés, à l’étudier dans ses constituants qui peu à peu laissent place à des antennes, des filtres, des cils, des carapaces, des mandibules ou des intestins. Tout devient système sensoriel, système de locomotion, de filtration, d’échange, de transformation et de prédation. Mutations, assemblages guidés par une volonté de s’animer, il y a un peu des étranges créatures du Cambrien et de la faune planctonique. L’œuvre prend alors la dimension d’une vaste étude océanographique, projection anticipative de l’évolution de toute une biocénose post-anthropocène soumise aux polymères. Par cette approche poétique, sous un angle insolite, c’est bien la tragédie d’un monde qui se plastifie que j’invite à questionner.


L’œuvre répond à un constat : passé leur premier stade d’ustensile ou de contenant, ces artefacts anthropiques, loin de disparaître, colonisent de manière exponentielle tous les milieux marins et terrestres et continuent d’interagir dans les écosystèmes. Supports migratoires de micro-organismes et d’algues, pièges pour animaux marins, échanges chimiques avec leurs hôtes et leurs milieux. Ces objets de toutes tailles sont en passe de devenir la plus importante « faune » des océans, s’invitant à chaque niveau de la chaîne trophique. Comment, dès lors, ne pas imaginer qu’ils soient assimilés par les écosystèmes marins, d’où émergerait une nouvelle faune ? En détournant les différents plastiques du commerce, je propose les polymères comme composants essentiels d’un écosystème marin en mutation. L’analogie est renforcée par la classification des matières plastiques séparées en plusieurs groupes, eux-mêmes divisés en familles et sous familles constituant une sorte de cladogramme.